Mourir bien

En 2007, mon père est mort d’un cancer généralisé. Il est mort lentement, mais dignement. Chez lui, dans les Cévennes. Sur son canapé. Il était entouré : sa compagne, sa famille, une équipe de soins palliatifs à domicile. Il avait peur, bien sûr. Mais il n’était pas seul. Sa douleur a été soulagée. Sa mort a été accompagnée. Il est parti dans la paix. Ce n’était ni tragique ni traumatisant. C’était la vie, dans ce qu’elle a de plus vrai.

À l’époque, j’avais filmé un documentaire sur la fin de vie. Mon modèle était Marie de Hennezel, pionnière oubliée du soin palliatif en France. J’y croyais : on pouvait mourir chez soi, apaisé, pris en charge. L’État rendait cela possible.

Mais en 2025, je doute. Ce que mon père a vécu, est-ce encore possible aujourd’hui ? Les équipes mobiles de soins palliatifs sont en sous-effectif, les territoires désertés, les services hospitaliers saturés. Les infirmières n’ont plus le temps. Les familles sont seules. Et l’État semble regarder ailleurs.

Le projet de loi en cours d’examen prévoit l’ouverture d’un droit à l’aide à mourir. Le mot est beau. Mais derrière cette promesse d’autonomie se cache un risque que peu osent nommer : et si nous poussions les plus fragiles vers l’euthanasie simplement parce que nous ne savons plus les accompagner ? Parce que nous n’avons plus les moyens ? Parce que la mort lente, douce, humaine… coûte trop cher ?

Mon père n’a jamais demandé à mourir. Il n’en avait pas besoin. Il était accompagné. Il savait qu’on ne le laisserait pas souffrir. Ce n’est pas l’euthanasie que je redoute, c’est le vide autour. Une société qui n’offre plus que deux options : la souffrance ou l’injection. Une société qui choisit la solution la plus simple, la plus rapide.

Je ne m’oppose pas au droit à mourir. Mais je refuse qu’il devienne un substitut à tout ce que nous devrions garantir : la main tenue, la parole échangée, la douleur soulagée, la présence jusqu’au bout. Mourir dignement, ce n’est pas choisir sa mort. C’est être accompagné dans sa fin. Et cela, aujourd’hui, devient un privilège.

Et moi, si demain mon propre cancer devait se réveiller, aurai-je droit à ce que mon père a eu ? Aurai-je droit à une fin de vie digne, chez moi, entourée, apaisée ? Ou me dira-t-on que la solution, c’est de partir plus vite ?

Mourir bien ne devrait jamais dépendre des moyens. C’est une question d’humanité. Et de volonté politique.

PS. Une pensée pour sa compagne, dont le courage et le dévouement imposent l’admiration.

Anne-Laure Bonnel

Réalisatrice, reporter

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