« Je n’ai pas réussi parce que je suis issue de l’immigration, mais parce que j’ai bossé »
La sénatrice et vice-présidente de LR se confie sur son parcours pour « témoigner » pourquoi la méritocratie dont elle a bénéficié selon elle « ne fonctionne plus ».

Elle ne s’en lasse pas. Assise sur le canapé d’angle de la buvette des sénateurs, Agnès Evren guette l’effet que son histoire ne manque pas d’avoir, chaque fois, sur ses interlocuteurs. Avant d’accueillir d’un éclat de rire les yeux qui, face à elle, finissent par se transformer en soucoupes… De son propre aveu, la vice-présidente du parti Les Républicains, patronne de la puissante fédération de Paris et porte-parole du groupe LR au Sénat, a longtemps été prise, selon ses propres mots, pour une « française de souche ». Pour ne pas dire une authentique « bourgeoise du XVIe » arrondissement de Paris.
Difficile de deviner que cette grande blonde aux mots choisis et au geste raffiné est en réalité issue d’une famille de onze enfants, fille d’immigrés turcs et naturalisée française à 16 ans. Qui après avoir grandi dans une tour HLM de 18 étages, à Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne, a appris le français exclusivement à l’école. Puisqu’il n’était pas, ou peu, pratiqué à la maison… « C’était une ville communiste, lâche-t-elle. J’appelle ça la tour de Babel. Il y avait toutes les origines, des cathos, des musulmans, des juifs. Personne ne savait à l’époque qui était quoi et tout le monde s’en moquait. Ça a totalement changé depuis… »
« Ne raconte pas ta vie ! »
De longues années durant, la quinquagénaire a préféré laisser le quiproquo sur son extraction perdurer. Fidèle au commandement de son père : « Ne raconte pas ta vie ! » Au point que même son mentor en politique, François Baroin, celui aux côtés de qui elle a forgé ses premières armes au ministère du Budget puis à celui de l’Économie, tombera des nues en découvrant au hasard des pages de Paris Match, en marge de la campagne des Européennes de 2019, un article révélant les origines de sa protégée.
« Longtemps, je ne voulais pas en parler et faire de mes origines un étendard. J’en ai ras le bol des gens qui en font un outil de com. Je n’ai pas réussi parce que je suis issue de l’immigration ou que j’ai grandi en HLM, mais parce que j’ai bossé. » Reste qu’ils sont nombreux dans sa famille politique – de Valérie Pécresse dont elle a été la vice-présidente à la région Île-de-France à Bruno Retailleau qu’elle soutient pour la présidence de LR – a l’avoir invitée à raconter son parcours pour mieux illustrer la « méritocratie » qu’elle chérit tant.
Ce sont les récents débats sur l’immigration qui m’ont poussée pour la première fois à le faire. Ces débats sur ce qu’est être Français. J’ai voulu témoigner pourquoi ce qui a marché pour moi, cet ascenseur social dopé à la méritocratie, ne fonctionne plus », livre Agnès Evren qui y a finalement consacré un de ses premiers discours au Sénat l’année dernière. « Le problème est qu’il y a un effet ciseau, appuie-t-elle. D’un côté l’immigration a été multipliée par 2,5. Or, il est vrai que la proportion compte. D’autre part, le niveau scolaire s’est totalement effondré ce qui fait que les déterminismes sociaux pèsent énormément… » Autant de sujets sur lesquels l’élue LR pointe sévèrement l’échec d’Emmanuel Macron, piaffant de voir sa famille politique revenir aux affaires.
« Éric Zemmour a raison »
Alors que la plupart de l’échiquier politique ne parle plus que d’intégration, y compris à droite du bout des lèvres, elle préfère assumer haut et fort la nécessité d’une assimilation. « Ma première chance est d’avoir eu un prénom français, confie Agnès Evren. L’infirmière ne savait pas comment écrire mon nom. Alors elle l’a francisé. Je n’ai pas honte de dire que, sur ce point, Éric Zemmour a raison. L’importance du prénom est fondamentale dans la construction d’une identité. » Plus tard, sa professeur de littérature en 4e, Mme Masse, repère sa curiosité et l’incite à lire en lui recommandant différents auteurs. Romain Gary, notamment.
« Il y avait le bibliobus qui passait tous les mercredis à 15 heures. Je ne l’oublierai jamais, cela a été mon premier accès à la culture, narre l’ancienne vice-présidente à la région Île-de-France en charge justement de la Culture. C’est grâce à la lecture que je me suis ouvert l’esprit, que j’ai découvert ce qu’étaient la France et ses valeurs. Sauf qu’aujourd’hui les jeunes lisent dix fois moins qu’avant et passent en moyenne deux heures par jour sur TikTok… » Après avoir passé son bac littéraire au lycée Pablo Picasso de Fontenay-sous-Bois, elle entre à la Sorbonne puis à Assas où elle est confrontée pour la première fois aux différences sociales. Avant de les enjamber. « J’avais des amies qui s’appelaient Marie-Stéphanie qui habitaient boulevard Suchet dans le 16e arrondissement de Paris… Elles étaient hallucinées de venir à la maison à Fontenay-sous-Bois », sourit la quinquagénaire avant de tirer comme un bilan de son parcours.
« Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il a fallu une génération pour en arriver là. Mes parents se sont intégrés. Mes sœurs et moi sommes assimilées. Mes parents, en nous inculquant le sens de l’effort, du travail et du service, nous ont poussés à aimer la France. J’ai donc épousé toutes les règles de la République française. Aujourd’hui, si je suis très fière de mes origines, j’ai épousé un Français, mes enfants sont cathos… Et c’est moi qui ai célébré avec l’écharpe tricolore le mariage de trois de mes sœurs. » À la question de savoir si le regard des gens autour d’elle, de ses collègues élus en particulier, a pu évoluer après avoir appris ses origines turques, le visage d’Agnès Evren se rembrunit un instant. « Il m’est arrivé de subir une forme de racisme. Parfois issu de ma propre famille politique », livre-t-elle. Avant d’éclater de rire : « Certains ont cru que j’avais pour projet caché de faire entrer la Turquie dans l’Union européenne ! C’est me prêter une sacrée influence. » L’unanimité des 27 États membres est en effet nécessaire pour en décider.