Massacre à la plage

 

Il aura fallu plus de deux ans à Amnesty International pour finir par dire ce que tout le monde avait déjà compris. Le 7/10 n’était pas un chaos mal documenté, mais une attaque programmée contre des civils, avec son immense cortège de morts, de corps profanés, de femmes violées, d’otages malmenés et exhibés. Les faits étaient là. Ce qui manquait, ce n’était pas la lumière, mais le courage de l’allumer.

Ce retard n’est pas un épiphénomène ; c’est devenu le symptôme d’un monde qui hésite à nommer certains crimes quand leurs victimes dérangent l’ordre moral.

Et puis, ce dimanche, il y a eu Sydney. Une plage, des bougies, de la musique, des chants. Des gens réunis, reconnaissables, paisibles, pour fêter Hanouka face à la mer. C’est précisément ceux-là qui ont été visés, shootés, dézingués, butés à la kalachnikov.

Sydney n’est pas le pogrom du 7 octobre, bien sûr. Le théâtre n’est pas le même, ni l’ampleur du massacre – et le courageux Ahmed a sans doute permis d’épargner des vies. La différence n’est pas de nature, mais de degré. Dans les deux cas, la violence islamiste obéit à la même logique. On ne frappe pas des individus pour ce qu’ils font, mais un groupe pour ce qu’il est. La mort devient un message, le corps, un argument, la cible, une identité.

C’est ce que le droit international a tenté de penser après 1945. Raphael Lemkin l’avait compris, le crime commence bien avant les charniers, au moment où un groupe humain est déclaré indésirable. Il ne s’agit pas de quantité de morts, mais de désignation.

On se rassure souvent avec les chiffres. On se dit qu’il faut attendre, comprendre. Le droit ne demande pas combien sont morts, mais pourquoi ils ont été tués. Le véritable scandale n’est pas seulement qu’Amnesty ait mis plus de deux ans à reconnaître l’évidence du crime contre l’humanité perpétré par le Hamas, mais de trouver ce délai acceptable.

Le 7 octobre relevait de cette dynamique génocidaire. Sydney en montre aujourd’hui la version réduite, presque nue, débarrassée de toute excuse géopolitique. Un même crime contre l’humanité derrière lequel, dit-on, la main assassine de l’Iran.

Le crime contre l’humanité n’est pas un crime contre des hommes, selon Arendt, mais contre l’humanité elle-même, parce qu’il nie à certains le droit d’appartenir au monde commun. C’est cela, qui se joue quand des civils sont attaqués en tant que juifs, que ce soit dans un kibboutz ou sur une plage australienne.

À force de différer les mots, on finit par différer les consciences. On ne nie pas les crimes, certes, mais on les ajourne, on les entoure de précautions, on les contextualise, on attend que le moment soit politiquement respirable pour les qualifier. En français, cela s’appelle de la veulerie.

Et qu’est-ce que la veulerie ? C’est une lâcheté qui a appris à bien s’habiller, qui parle doucement, qui invoque la prudence, et qui se donne des airs de sagesse pour ne pas avoir à risquer l’essentiel.

Patrick ATLAN
Associé-gérant chez BDA, société d’Avocats
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