Condamnation de Nicolas Sarkozy : un verdict impartial, mais troublant
Comme beaucoup de Français, l’annonce de la prochaine incarcération de Nicolas Sarkozy a eu sur moi sinon un effet de sidération, du moins un léger étonnement, voire même une franche stupéfaction. Et même, pourquoi le nier, une sorte de malaise où, n’arrivant plus à distinguer le vrai du faux, j’ai éprouvé un étrange sentiment d’empathie envers cet homme qui, malgré tous ses défauts, a toujours éveillé en moi une sorte de sympathie.
Je n’ai jamais adhéré à sa conception du pouvoir, je n’ai jamais goûté à ses provocations et ses foucades, je n’ai jamais partagé sa fascination pour l’argent, mais il faut bien reconnaître que parmi la masse souvent indigente de nos gouvernants, il m’est toujours apparu comme l’un des très rares chez qui l’intelligence ne cessait jamais de scintiller, une intelligence en mouvement, vive, acérée, affutée, prompte à surmonter n’importe quel défi.
Il y a toujours eu du panache chez cet homme. Là où tant d’autres s’abîment dans des océans de médiocrité, il a toujours eu cette sorte de flamboyance propre aux esprits qui prennent la vie comme un pari, un exercice de haute voltige où sa faconde, son culot, son charisme lui ont souvent permis de briller. Il a été le dernier animal politique, de ces êtres chez qui l’attrait du pouvoir se confond toujours avec un désir de vaincre le temps, la mort, la pesanteur inhérente à toute existence.
De le savoir bientôt en prison ne me pose aucun problème en soi. Par son tempérament, il a toujours flirté avec la ligne rouge qui sépare l’honnêteté de la débrouillardise, le respect des lois de leur détournement, l’application stricte de la bienséance de ses mille et un détours. Il a chuté par quoi il se maintenait en vie, une extraordinaire appétence pour le pouvoir face à laquelle rien ne comptait vraiment, si ce n’est d’arriver à ses fins.
Ce genre de jouisseur n’a jamais très bonne presse. Leur gourmandise à exister exaspère. Leur volubilité fatigue. Leur besoin souvent infantile d’exhiber les signes extérieurs de leur réussite répugne. Leur comportement à la limite de l’outrance souvent considéré comme de la grossièreté choque et épouvante. Leur rejet est total, entier et confine souvent à l’hystérie, tant leur obsession à toujours vouloir capter la lumière est vue comme une façon de s’approprier l’espace à leur seule satisfaction.
Ce qui me pose problème dans la justice telle qu’elle est pratiquée en France est de voir qu’il puisse exister des syndicats de sensibilités diverses au sein même de la magistrature.
J’ai vu des personnes chez qui le calme présidait devenir blême d’énervement à la seule évocation de Nicolas Sarkozy, au bord de sombrer dans la vulgarité la plus crasse. Il existe une sorte de «Sarko rage», de cette éruption de la folie dont sont victimes certains individus, une fois derrière leur volant. Tout à coup, ils en oublient toute décence et, dominés par des pulsions incontrôlables, ils se comportent comme les derniers des sauvages.
Le malaise que j’ai pu ressentir à la lecture du verdict vient en partie de là. Contrairement à ce que voudrait nous faire croire la doxa ambiante, les juges ne sont pas des robots qui se contenteraient d’appliquer la loi sans jamais laisser interférer leurs sentiments personnels. Quelle sottise que celle-là ! À l’heure de prendre sa décision, un juge ne devient pas, par la grâce de Dieu, un pur esprit détaché des contingences de l’existence. Il est tout entier dans son jugement, avec sa personnalité, son ressenti, sa perceptibilité, sa sensibilité, son éducation, sa culture, le fondement même de son identité.
Sans quoi, il n’y aurait pas autant d’avis différents au même cas soulevé. Un juge de première instance peut accorder une peine de trois ans, là où en appel, un juge tout aussi honnête, confronté à la même affaire, en demandera moins ou plus. Dans la loi, tout est affaire d’interprétation. Et dans cette interprétation transparaît toutes les variations de l’être.
L’impartialité d’un juge est réelle. Ce qui ne l’est pas est sa totale absence d’affects. Ce qui me pose problème dans la justice telle qu’elle est pratiquée en France est de voir qu’il puisse exister des syndicats de sensibilités diverses au sein même de la magistrature. Comment une justice sereine pourrait-elle exister si elle est dite par des individus qui, à côté de l’exercice de leur magistère, ne se cachent pas d’avoir des opinions politiques bien trempées et rendues publiques ? On aura beau répéter que l’un n’empêche pas l’autre, que chacun est à même de faire la part des choses, cette pratique engendre de facto le soupçon de partialité.
Tout comme les militaires, les magistrats devraient être tenus au devoir de réserve. Cela nous épargnerait des querelles et des remises en question perpétuelles. Un magistrat n’a pas à être de gauche ou de droite, du moins publiquement. Ses opinions politiques ne nous concernent pas. Nicolas Sarkozy a-t-il été victime d’un procès politique? Il est à parier que non. Mais dans ce verdict trouble, où malgré toute notre bonne volonté, on a dû mal à jauger de la gravité réelle des faits reprochés, on ne peut s’empêcher de penser qu’un autre justiciable coupable des mêmes malversations aurait connu un jugement plus clément.
Oui, ce verdict me pose problème, parce qu’au lieu d’apaiser, il tend à exacerber les passions. On me dira que la justice n’a pas à tenir compte du feu qui couve à l’extérieur du tribunal. C’est vrai en temps ordinaire. Mais quand un pays se retrouve comme le nôtre au bord de l’abîme, lorsque l’extrême droite se tient aux portes du pouvoir, il est de la responsabilité de chacun d’essayer de faire redescendre la température sans se renier pour autant.
Si Nicolas Sarkozy avait connu une peine un tantinet moins sévère, si on lui avait évité de dormir en prison, si même l’exécution provisoire n’avait pas été retenue, aurait-on pour autant trahi la justice et son esprit ? Je ne le pense pas. Sans s’exprimer sur le fond de l’affaire, est-il si difficile de comprendre qu’une décision pareille aura comme conséquence de faire sauter la dernière barrière qui existait encore entre un vote républicain et un voué à la droite illibérale et nationaliste ? Protéger la République de ses ennemis n’est ni d’être de gauche ou de droite, c’est un devoir sacré qui va bien au-delà des croyances personnelles.
La justice doit rester immanente, mais pas sourde à l’intelligence. Par bien des égards, ce verdict en manque cruellement. L’intransigeance est un luxe qu’on ne plus se payer.
Laurent Sagalovitsch, écrivain et blogueur
(Article du 29 septembre 2025 paru sur Slate.fr)