Antoine de Saint-Exupéry

 

Antoine de Saint-Exupéry,

Je l’ai longtemps mal lu, peut-être même mal jugé.

J’ai cru, comme tant d’autres, qu’il était ce qu’on en fait : un auteur de chevet pour rêveurs solitaires, un poète céleste pour bibliothèques poussiéreuses, un écrivain « à messages » qu’on distribue aux enfants en espérant qu’ils en retirent un peu de sagesse sans trop d’inquiétude.

Je croyais avoir compris le Petit Prince.
J’avais tout raté.

J’étais passé à côté de la blessure, du vertige, de la grandeur.

Il m’a fallu du temps. Et un certain silence intérieur.

C’était un été de mes dix-huit ans, au Sénégal, sur un camp scout routier près de Kaolack.

On construisait une école, dans la poussière et la chaleur, avec cette générosité naïve des premiers départs, et déjà une fatigue d’homme.

Le soir, exténué, je lisais Terre des hommes sous une moustiquaire. Et là, dans ce texte que je croyais connaître de nom, j’ai entendu, pour la première fois, une voix qui me parlait à moi.

Pas à l’étudiant.
Pas au lecteur.
À moi.

Il ne me donnait pas de leçons.
Il ne m’invitait pas à briller.
Il me montrait des hommes qui faisaient leur part, dans l’ombre, sans témoin, sans récompense, simplement parce qu’il fallait que ce soit fait.

Il parlait de fidélité. De lien. De responsabilité.

J’ai fermé le livre en silence. C’était la première fois que je comprenais que la littérature pouvait nous dire comment vivre sans nous dire quoi penser.

Et puis les années ont passé.

J’ai lu Vol de nuit, Pilote de guerre, Lettre à un otage.

Chaque fois avec plus de retenue, comme on écoute un frère aîné dont on se sait encore loin.

Saint-Exupéry m’a appris que l’on pouvait être courageux sans bruit, noble sans orgueil, et fidèle sans certitude.

Il ne parle pas du bonheur : il parle de tenir bon.

Cet été, mon fils de quatorze ans – lecteur vorace, curieux, plus intelligent que je ne l’étais à son âge – est revenu du collège avec Vol de nuit à lire.

Je n’ai rien dit.
Je l’ai regardé s’y plonger, doucement.
Et j’ai espéré que quelque chose en lui entende ce que j’ai mis des années à saisir.

Que la grandeur n’a pas toujours de spectateurs.
Que l’essentiel, parfois, consiste simplement à faire ce qu’on a dit.
À prendre sa place.
À tenir le cap.

Saint-Exupéry ne m’a jamais flatté.
Il m’a aidé à me taire.
À mieux écouter.
À devenir, lentement, un homme plus digne de ce que j’aime.

Alors lisez-le, non pour rêver, mais pour vous redresser car dans chaque page de Saint-Exupéry, il y a moins de littérature que de lumière, et moins de mots que d’altitude.

François VANNESSON, avocat

(Post LinkedIn du 25 août 2025)


P.S. J’ai été sensible au post de M. Vanessson pour diverses raisons que j’expose ci-après et qui m’ont poussé à reproduire ce post sur mon site :

  1. J’aime Saint-Exupéry depuis mon adolescence. Pour mes 16 ans, alors que je m’apprêtais à effectuer mon entrée en classe de terminale à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar, Marie-Thérèse Villod, une amie et collègue de travail de ma tante Odile Verny au Sénégal, m’avait offert, dans la bibliothèque de la Pléiade, les œuvres complètes de cet auteur que j’ai immédiatement dévorées dans la touffeur de l’hivernage dakarois. Depuis plus de 56 ans par conséquent, en dépit de mes tribulations de par le vaste monde, cet ouvrage ne m’a jamais quitté et fait véritablement partie de mes livres de chevet. Marie-Thérèse Villod, décédée en 2007 à l’âge de 79 ans, est enterrée au cimetière de Lyon, sa ville natale. Sur sa tombe, j’ai tenu à faire fixer une plaque en marbre en souvenir des mots qu’elle m’a dédicacés et qui rappellent également Saint-Exupéry.

2. Tout comme moi, M. Vannesson a donc vraiment découvert Saint-Exupéry au Sénégal. Il signale que c’était à l’occasion d’un camp scout. Scout, j’ai été également dans ce même Sénégal, de 1964 à 1967. J’ai fait ma promesse à N’Gascop, un petit village situé près de Bambey, dans la région de Diourbel qui est juste au nord de celle de Kaolack dont parle toujours M. Vannesson dans ses souvenirs.

3. Pas plus tard qu’hier, j’ai posté sur mon site un condensé de citations diverses intitulé « Ils ont dit… » Parmi elles figure celle que je préfère de Saint-Exupéry :

Plaisir, 27 août 2025