Il est des hommes qu’on n’approche qu’à genoux, non par soumission, mais par reconnaissance.
Gary est de ceux-là.
Parce qu’il a tout donné.
Le sang, l’encre, le nom.
Il n’a pas écrit pour briller, ni pour plaire, ni même pour survivre : il a écrit pour tenir parole.
Celle faite à une mère qui prophétisait l’impossible sur les paliers d’un immeuble miteux.
Celle faite à la France, quand elle n’était plus qu’un soupir sous l’Occupation.
Il a tout vécu.
Et tout raconté.
Pas pour se justifier, mais pour nous sauver du cynisme.
Ses livres sont des armures de papier, forgées dans l’humour et la douleur, trempées dans la fidélité, martelées à coup de style.
Il n’a jamais cessé de croire qu’un homme, ça peut se tenir droit même dans la boue.
Il a volé dans le ciel pour la France libre, et plongé dans les bas-fonds de l’âme pour en extraire l’essentiel : qu’il n’y a pas d’excuse à la lâcheté, que l’amour est un devoir, que la tendresse est une résistance.
Qu’il faut écrire comme on embrasse ou comme on boxe, en regardant l’autre dans les yeux.
Il aurait pu vivre sur ses lauriers, il a préféré se dédoubler.
Emile Ajar, Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat, autant de masques jetés à la figure des institutions, autant de preuves que la littérature n’est pas un état civil, mais un combat.
Il a joué avec les identités pour défendre une vérité : l’homme n’est jamais fini tant qu’il espère encore.
Et pourtant, il est parti.
Le revolver au lieu du sursaut.
On peut lui en vouloir.
Moi, je lui en veux.
Pas tant de s’être tué que de ne pas nous avoir attendus.
De ne pas avoir tenu un peu plus longtemps dans cette époque qui n’a plus rien promis à l’aube.
Mais il savait.
Il savait que le monde qu’il avait aimé n’avait plus cours. Et que la France de l’enfance avait quitté la scène.
Alors il faut relire Gary.
Pour ne pas désapprendre à aimer.
Pour réapprendre à croire sans être dupe.
À rire sans être lâche.
Pour se souvenir que le style est une forme de courage. Et que l’honneur, parfois, tient tout entier dans une phrase qu’on ne renie pas.
Il ne nous a pas légué un testament.
Il nous a légué une exigence.
À nous d’en faire une fidélité.
François VANNESSON, Avocat
(Post LinkedIn du 20 août 2025)